En 1984, l’équipe de rédaction d’Okapi cherche à renouveler le secteur bande dessinée du journal et sur l'avis de son directeur artistique Patrick Couratin, décide de s’adresser à Jean-Claude Forest. Ce choix peut surprendre de la part d’une maison de presse aussi respectable que Bayard (et ne fait d’ailleurs pas l’unanimité à la direction), mais l’auteur de Barbarella a déjà près de 40 ans de carrière derrière lui et un parcours beaucoup plus varié que le seul nom de son héroïne peut le laisser supposer. Il a notamment été le rédacteur en chef d’un journal de bandes dessinées pour adolescents de l’époque de Salut les copains !, ChouchouChouchou était le personnage mascotte de Salut les copains, le journal que Daniel Filipacchi avait créé dans le prolongement de son émission radiophonique et avec ce nouveau titre, il espérait rencontrer le même succès : les ventes n’ont pas été à la hauteur de son attente et l’hebdomadaire n’a duré qu’une saison (1964/5). La conception originale de ce journal de bande dessinée pour adolescents a pourtant marqué les esprits à l’époque, et les points communs avec l’Aventure d’Okapi vingt ans après sont étonnants.. Peut-être aussi le ton différent de sa dernière bande dessinée publiée, Enfants c’est l’Hydragon qui passe, ou encore l’autorité conférée par le Grand prix de la ville d’Angoulême reçu en 1983, ont-ils séduit Okapi ?
Forest accepte la proposition du journal et commence à préparer pour la rentrée 1985 de nouvelles bandes dessinées, tout en intégrant à son projet ces deux repères du journal que sont la rubrique « éducative » L’Histoire vraie / C’est arrivé hier et la série vedette Tendre Banlieue (créée par Tito en 1982)À l’été 1985, Okapi « liquide » les bandes dessinées qu’il avait commandées avant que Jean-Claude Forest ne prenne place dans l’équipe de rédaction. 3 histoires longues de 44 planches se succèdent ainsi rapidement, parmi lesquelles L’Espion, la dernière BD de Colette Tournès pour le journal (dessinée par Noëlle Herrenschmidt). Quant au deuxième volume de Mattocheega des prairies, de Leigh Sauerwein, Alain Letoct et Hervé Quénolle, il paraît directement en album (à la suite de quoi les dessinateur et coloriste cesseront une collaboration de plus de 10 ans à Okapi). À l’exception de Tito, les derniers auteurs amenés par Xavier Séguin ne sont pas réemployés ; avec une mention particulière pour Philippe Sternis qui, malgré le prix Alfred enfant obtenu cette année-là pour Trafic (et les éditions Bayard), ne verra publiée sa nouvelle série Mouche qu’à partir de 1989, au moment où Forest est sur le départ. Quant à Pierre Wininger, sa santé ne lui permet pas d'envisager d'autres bandes dessinées de l'envergure de sa série Evergreen et il s’oriente plutôt vers l’illustration de romans pour Je bouquine : la rédaction lui confie en 1988 la réalisation de l’histoire d’un enfant myopathe, Les Naufragés de l’Oyapock, qui n'est pas au niveau habituel de ses créations et sera sa dernière bande dessinée pour Okapi.. Ne pouvant obtenir la reprise du Docteur Poche à Okapi (et en particulier de l’univers de la Planète des chats), il commande à Marc Wasterlain une série originale dans la même veine : Gil et Georges font ainsi leurs débuts dès le n° 331 et connaîtront 5 aventures jusqu’en 1991. L’Aventure d’Okapi commence au n° 336 (novembre 1985) où Jean-Claude Forest apparait pour la première fois au sommaire, avec un nouveau personnage spécialement créé pour le journal, Léonid Beaudragon. À cette époque il ne dessine déjà pratiquement plus lui-même et confie cette tâche à Didier Savard, dont il a pu apprécier la série parodique Dick Hérisson. La première histoire, Le Fantôme du Mandchou fou obtient en 1987 le prix Alfred du meilleur album pour les jeunes (et Tendre Banlieue : La Briqueterie l’Alfred enfant), mais pourtant le « chasseur de spectres » ira poursuivre ailleurs que dans Okapi ses fascinantes aventures, directement en album et chez un autre éditeur… Forest commande aussi des bandes dessinées à David Beauchard (qui ne signe pas encore David B.), Patrick Cothias ou Jacques LobJacques Lob (1932 – 1990), avait travaillé avec Forest pour Chouchou. Lorsqu’il présente sa série de science-fiction à Okapi, il vient de publier une formidable bande dessinée que le cinéma a remise au goût du jour : Le Transperceneige (dont le dessinateur, Jean-Marc Rochette, illustrera à son tour pour Okapi Nemo, le Capitaine vengeur, sur un scénario de Hugot). Les aventures sidérales d’Arlette et Charley n’ont malheureusement pas été entièrement reprises en album, et la mort du scénariste moins d’un an après les dernières planches publiées confirme cette impression d’inachèvement., ce dernier étant un ami de longue date (et à son tour Grand prix de la ville d’Angoulême en 1987). Jean-Pierre Hugot et Jean-Marc Rochette réalisent une excellente adaptation de Jules Verne tandis qu’un tandem de débutants, Dominique Azan et Christian Straboni, propose une parodie d’aventure exotique, Le Roi d’Amazonie. Forest fera également travailler des dessinateurs qui lui sont proches, comme Daniel Billon, Paul Gillon, Pierre Frisano, Robert Gigi ou Raymond PoïvetParmi les dessinateurs de la génération de Forest, aujourd’hui tous disparus : son alter ego Daniel Billon (1927 - 2004), qui avait déjà dessiné la dernière histoire de Barbarella à sa place, et illustré son roman Lilia entre l’air et l’eau ; Paul Gillon (1926 – 2011) qu'il avait rencontré à Vaillant et avec qui il avait conçu les Naufragés du temps, une bande commencée dans Chouchou et terminée dans France Soir, et qui dessinera pour Okapi une Histoire vraie en 2 épisodes ; Pierre Frisano (1934 - 2013), qui dessinera Jacquou le Croquant (une adaptation signée par Marie-Noëlle Pichard, la fille du dessinateur Georges Pichard – autre proche de Lob et Forest) ainsi que de nombreuses Histoires vraies ; Robert Gigi (1926 - 2007), déjà sollicité pour Chouchou, qui dessinera 2 Histoires vraies ; et le grand ancien Raymond Poïvet (1910 - 1999), croisé à Vaillant dans les années 1950 et autre collaborateur à Chouchou, qui dessinera 3 Histoires vraies..
Comme il l'avait fait vingt ans auparavant dans Chouchou avec Dick Tracy, Jean-Claude Forest cherche à faire connaître à de jeunes lecteurs les bandes dessinées qui l’ont ravi dans son enfance et sont demeurées pour lui une source d’inspiration. Il reprend cette fois-ci deux autres comic-strips de l’âge d’or américain, les Aventures de Jojo (Ming Foo) et Mandrake, à propos desquels il écrit également une courte présentation intitulée Les Beaux Jours de la Bande Dessinée… Dans un journal comme Okapi, ces histoires plutôt invraisemblables n'ont pas trouvé un nouveau public : elles ont surtout dérouté les adolescents – qui n'ont pas manqué de manifester leur incompréhension par courrier !
« L’Aventure d’Okapi » se présente sous la forme d’un cahier d’une vingtaine de pages (pratiquement la deuxième moitié du journal, hors Univers), comprenant une couverture interneCette « couverture », conçue par Patrick Couratin selon ses choix formels de typographie et de couleurs, était une composition de dessins extraits des histoires concernées. La réalisation en était confiée tantôt à Henri Galeron, au studio Gayout & Josset ou encore à Forest lui-même (qui ne signait pas ses assemblages). On retrouve ces compositions en couverture des albums, une pratique inhabituelle pour des auteurs comme Marc Wasterlain qui avait imaginé bien autre chose pour sa série… Les couvertures internes disparaissent à partir de 1987, comme la partie bande dessinée se réduit dans le journal., une ou deux histoires à suivre ainsi que L’Histoire vraie / C’est arrivé hier, et périodiquement un « Conte de Noël ». Forest oriente, corrige, contrôle chaque scénario et planche originale… malheureusement la branche éditrice du groupe de presse (Bayard B.D.) se révèle très en deçà des standards de diffusion et de tirage en matière d'album, ce qui ne permet pas de dépasser le cadre de la prépublication et mécontente les auteurs. Par ailleurs l'aventure telle que la conçoit Forest n'est pas sans contradiction avec les bandes dessinées attendues par les lecteurs du journal : il paraît en effet difficile de concilier Jojo avec Tendre Banlieue, ou avec une série « responsable » comme celle dont l'association des Médecins sans frontières propose la réalisation à Okapi à partir de 1987. De même, le choix d'adapter des classiques de la littérature de jeunesse aussi différents que Vingt mille lieues sous les mers, Jacquou le Croquant ou Un sac de billes aboutit à des réalisations très inégales et pas toujours inspirées. L'aventure se termine alors que Forest est rattrapé par des problèmes de santé qui le contraignent peu à peu à abandonner sa tâche et disparaître finalement du journal au n° 419 (mars 1989). Le deuxième volet des aventures sidérales d’Arlette et Charley, de Jacques Lob et Dan (Jean-Pierre Danard) est publié après son départ, mais ne sera pas repris en album ; de même les deux dernières aventures de Gil et Georges, La Petite Princesse des 7 planètes et La Croisière de la « Marie-Jeanne », qui resteront dans les pages d’OkapiSeules les 3 premières aventures de Gil et Georges sont reprises sur cette page : pour les deux dernières, nous vous invitons à contacter l’excellente association L’Univers de Marc Wasterlain ( wasterlain.asbl@gmail.com ), qui publie Quatrième de couv’ - une revue remplie d’informations et de bandes dessinées disparues. Vous pourrez ainsi retrouver ou découvrir La Petite Princesse des 7 Planètes dans les numéros 19 à 21, et La Croisière de la « Marie-Jeanne » dans les numéros 17 et 18. Difficile, en lisant cette dernière histoire, de ne pas repenser à Forest et son Hydragon, et surtout à la suite qu’il n’a jamais terminée, La Croisière du jeudi fou….
Vous trouverez sur cette page un choix d’histoiresLes deux épisodes de Tendre Banlieue publiés dans le journal en 1986 et 1988 ne sont pas repris sur cette page, car l'existence de cette série était tout à fait indépendante de « l'Aventure » et les lecteurs d'Okapi entretenaient avec elle un rapport de proximité très fort (comparable à celui qui faisait le succès de Chouette de classe auparavant), dont témoigne bien mieux le blog officiel. Quant aux récits complets de la rubrique Histoire vraie / C'est arrivé hier, ils sont peu représentés ici : créée dans Okapi en 1982, en noir et blanc à l'origine, cette rubrique s'est poursuivie plus de dix ans et donc bien au-delà de la présence de Jean-Claude Forest à Okapi. Il avait trouvé en la personne d'Alain Bouton aussi bien le chercheur de sujets qu'un scénariste à son goût, et parmi la vingtaine d'histoires que celui-ci a écrites durant cette période, quatre sont reproduites sur cette page. dont nous espérons qu’il témoigne au mieux de cette aventure d’Okapi en bandes dessinées, en forme d’hommage à Jean-Claude Forest... mais aussi à Jacques Lob, Daniel Billon, et Didier Savard.
Tous nos remerciements à Marc Wasterlain, Didier Savard, Jean-Pierre Danard
et Couetsch Bousset-Lob, Christian Straboni et Dominique Azan, Jean-Pierre Hugot
et Jean-Marc Rochette, ainsi qu'à Philippe Lefèvre-Vakana. Il est rappelé que
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