Au-delà de la présence de l'Insupportable Grabote dans près
de 200 numéros d'Okapi, ce site rend disponible à la lecture en
ligne la plupart des bandes dessinées publiées dans le bimensuel
jusqu'en septembre 1982, ainsi qu'un ensemble de documents choisis pour restituer
une « ambiance Okapi » particulière aux premières
années du journal. (Ces archives sont arrêtées provisoirement
au n° 260, où Okapi change une nouvelle fois de formule.)
Malgré une diffusion assez importante dans les années 1970 (à
plus de 150 000 exemplaires), le contenu du journal a peu été
repris en album et les documents reproduits sur ce site ne seront probablement
jamais réédités. Ils ne sont pas libres de droits et les
auteurs peuvent à tout moment en interdire la reproduction.
Sur la lancée de leur nouveau journal Pomme d'api apparu en 1966, les dirigeants de Bayard Presse ont souhaité prolonger le succès rencontré en créant un titre complémentaire pour la tranche d'âge des 8-12 ans. Ils amorcent ainsi le « chaînage » de leurs publications qui suivent le lecteur dans toutes les étapes de sa vie, tout en évitant qu'il se tourne vers la concurrence (les journaux édités par Fleurus). Divers projets sont élaborés jusqu'à la fin des années 1960 mais n'aboutissent pas, faute de rédacteur en chef. Yves Beccaria, directeur du département presse jeune de Bayard Presse et l'un des principaux artisans du renouvellement de ses publications, porte finalement son choix sur Denys Prache. Ce dernier crée à partir du 15 octobre 1971 un journal d'une conception entièrement nouvelle au nom peu commun : Okapi. Il lui donne une dimension documentaire inédite qui prend notamment la forme d'un dossier encyclopédique appelé « Univers d'Okapi », supplément détachable mais pourtant inséparable de l'identité du journal. Une autre caractéristique d'Okapi est de fonctionner par abonnement : partant de 18.700 pré-abonnés à sa parution, il en compte 103.000 dès le n° 7, ce qui en fait le premier périodique du genre.
Les différents aspects du journal abordés dans cette présentation - rédaction, dossiers documentaires, illustration et bande dessinée - font essentiellement référence au journal conçu et dirigé par Denys Prache pendant sept ans (les 163 premiers numéros). Il s'agit en effet de la période la plus créative, à l'issue de laquelle Bayard Presse n'a pas voulu continuer dans la direction éditoriale du rédacteur en chef. Le groupe a donc rapidement normalisé le contenu d'Okapi qui n'a guère conservé que son nom, tout en déplaçant la tranche d'âge concernée vers les 10-15 ans pour l'intégrer entre ses deux nouveaux titres Astrapi et Phosphore.
À l'opposé de la presse jeunesse dite « d'appât », Denys Prache constitue une équipe de rédaction dont il définit ainsi la priorité : permettre aux lecteurs de mieux comprendre le monde qui les entoure pour pouvoir le changer un jour, ou encore d'accéder le plus tôt possible à leur liberté d'être. L'« univers » d'Okapi est en effet bien plus qu'un dossier de papier : les enfants y adhèrent au point de devenir des « Okapiens » et « Okapiennes », dont les attentes et interrogations font l'objet de toute l'attention de la rédaction, qui répond à toutes les lettres. Les plus essentielles de ces questions, qui renvoient souvent à l'actualité, sont reprises dans la rubrique courrier ou développées dans les Univers. (Le journal répond ainsi, au moment de la loi Veil, à plus de deux cents questions posées par des filles de dix ans qui ne recevaient pas de réponse de leur mère...)
La
rédaction vue par François de Constantin en 1973, Univers d'Okapi
n° 44
Passionné d'arts graphiques, Denys
Prache fait appel aux meilleurs créateurs du moment, mais aussi à
des débutants prometteurs qui doivent accepter des honoraires peu élevés.
Confronté aux archétypes de la presse jeunesse de l'époque,
il privilégie la sincérité des formes d'expression venant
d'artistes à la forte personnalité, pour mettre en images aussi
bien le propos scientifique et spirituel du journal que les jeux et récits
complets. La rigueur documentaire se trouve ainsi associée à l'interprétation
artistique et souvent humoristique qu'en font les illustrateurs, dans un mélange
créatif véritablement novateur et qui fait rapidement référence.
Une autre composante de ce mélange tient à la volonté de
mixité de l'époque, et dont témoigne la forte présence
féminine au journal : outre l'équipe rédactionnelle (Florence
Terray, Florence Rosenstiehl, Leigh
Sauerwein...), le nombre de scénaristes et illustratrices est remarquable
: Colette Tournès, Anne-Marie
Chapouton, Martine Jauréguiberry,
Édith Raymond, Marie-Marthe
Collin, France de Ranchin, Yvette
Pitaud... et bien sûr Nicole
Claveloux, dont la créature Grabote
est aussi minuscule que déterminée à prendre toute sa place.
L'équipe
de rédaction en 1976 (n° 100)
(de gauche à droite et de haut en bas : Leigh Sauerwein et Florence Rosenstiehl
; Denys Prache ; Danielle Oudar ; Éliane Vauchelle ; Florence Terray
; Michel Rémondière ; le dessinateur est Fernando Puig Rosado.)
La représentation de cet aspect éducatif progressiste, à
l'image de l'exigence d'une nouvelle qualité de vie au tournant des années
1970, impose un graphisme moderne et coloré. Sur la couverture, le nom
Okapi apparaît ainsi dans une typographie américaine récente
- en fait la redécouverte d'une police de caractères conçue
à l'origine par le Bauhaus : il s'agit alors d'un lettrage moderne
(repris par « le nouveau » journal Pilote fin 1973...)
et largement banalisé depuis. La couleur est un impératif graphique
constant pour les illustrateurs et trouve son expression la plus radicale dans
les jeux intelligents et les abstractions géométriques conçus
par France de Ranchin, dont le rôle d'éveil à l'art contemporain
est décisif : par ses soins, l'œil des lecteurs trouve à
s'éduquer autant que l'esprit. Elle illustre d'ailleurs pendant longtemps
la rubrique catéchétique, Dis-moi Denys.
En ce qui concerne les récits complets, la rédaction puise largement
dans la littérature de jeunesse internationale, sans hésiter pourtant
à faire écrire les contes inédits qui représenteront
la moitié des textes réunis dans la rubrique des Mille
Récits (puis Récits), où débutera
Georges Kolebka. Okapi fait cependant la part belle au documentaire
(rubriques animalière Animaux mes amis ou d'actualité
Ça c'est la vie et Reportage) et le cœur du journal
est bien ce dossier central qui fait l'objet d'une attention rédactionnelle
toute particulière.
Grand
jeu de l'Okapi par Tina Mercié pour l'Univers du n° 100, à
partir des 100 premiers dossiers.
Dans le domaine graphique, Denys Prache
choisit de placer Okapi dans la « révolution de l'album
pour les enfants » initiée par l'éditeur Robert Delpire
mais surtout par l'américain Harlin Quist qui commence à publier
en France à partir de 1967. Ce dernier a introduit dans le genre une
nouvelle esthétique visuelle inspirée des graphistes venus de
la publicité (les studios Push Pin en particulier), et non plus du dessin
humoristique ou satirique. Si les albums édités connaissent le
sort des publications d'avant-garde, souvent confidentielles et sans réussite
commerciale, ils ont pourtant un grand retentissement dans le monde de l'édition
jeunesse, de l'éducation et des Beaux-Arts, en favorisant l'apparition
de toute une nouvelle génération d'auteurs que l'on retrouve presque
tous à Okapi : Bernard Bonhomme,
Joëlle Boucher, Nicole
Claveloux, Gérard Failly, Monique
Gaudriault, Maurice Garnier, Michel
Gay, Claude Lapointe, Tina
Mercié, Yvette Pitaud,
France de Ranchin, Marie-Odile
et Martine Willig...
Le rédacteur en chef sollicite également d'autres graphistes qu'il
découvre ou a eu l'occasion d'admirer, pas seulement dans le domaine
de la presse : Alain Letoct & Vincent
Ferlito, Marie-Marthe Collin, José Xavier, Philippe Kailhenn, Volker
Theinhardt, Georges Lemoine, André
Dahan, Daniel Suter, Henri Galeron, les
groupes de création And Partner's
et plus tard Bazooka. D'autres encore viennent
de titres de Bayard Presse déjà existants : Édith
Raymond, Noëlle Herrenschmidt...
Ces illustrateurs n'ont pourtant pas tous choisi au départ de travailler
pour la jeunesse, et certains y ont d'ailleurs abimé leur talent en le
forçant à « faire jeune ». Les plus heureux
dans ce secteur difficile sont cependant ceux dont les émotions d'enfance
ont été les plus riches (particulièrement sur cette période
de 8 à 12 ans) et qui parviennent à l'exprimer avec naturel. L'approche
documentaire se fait souvent avec humour, notamment sur la page dédiée
qui vient à chaque numéro en contrepoint de la rubrique animalière.
La variété comme la singularité des formes d'expressions
graphiques ne sont pourtant pas toujours au goût des éducateurs
et autres spécialistes de l'enfance, ce dont Denys
Prache a pu prendre la mesure en imposant parfois ses choix contre l'avis
des lecteurs et surtout de leurs parents... avec raison puisque les illustrations
de Nicole Claveloux ou les aventures
des Barneidor, qui passaient mal au début
de leur parution, seront bientôt plébiscitées par les « Okapiens ».
C'est dans ce sens qu'on peut parler d'Okapi comme d'un « laboratoire
artistique », où le projet éducatif s'est nourri de
la liberté de ton des graphistes, dont certains passaient sans embarras
d'une rubrique du journal à une autre. On retrouve cette versatilité
graphique dans la manière peu conventionnelle dont la bande dessinée
a été abordée à Okapi à ses débuts.
Le poster des dessinateurs dans l'Univers d'Okapi n° 44
(NB : passez la souris sur chaque dessin !!!)
Ce site est consacré principalement aux bandes dessinées publiées dans le magazine et avant tout à celles qui n'ont pas été éditées en album. Vous y retrouverez donc les séries « vedettes » qui ont assis la popularité du journal, comme Chouette de classe, le feuilleton réaliste écrit par le cinéaste Claude Gaignaire. Pourtant, Okapi n'est pas un journal de bande dessinée : dans les premiers numéros elle n'est pas davantage qu'un moyen comme un autre d'illustrer les différentes rubriques. Ce n'est qu'au bout de 3 ans (à la faveur d'un changement dans l'architecture du journal au n° 46), que l'épisode du feuilleton en cours, L'Île de la momie, s'inscrit désormais dans une rubrique intitulée « la bande dessinée »... L'idée d'une bande dessinée destinée à une tranche d'âge particulière est d'ailleurs à l'opposé de la presse spécialisée BD qui continue à fonctionner sur l'ancien modèle de la presse pour la jeunesse à l'âge indéterminé (« Tintin : le journal des jeunes de 7 à 77 ans ») et dont le but reste essentiellement distractif. Denys Prache n'a pas d'idée préconçue sur la question et dispose par ailleurs de peu de place à lui consacrer : il propose donc aux graphistes, à partir de scénarios élaborés par la rédaction, de s'essayer à une discipline qui ne leur est pas familière. La plupart sont formés aux arts décoratifs et n'utilisent pas les codes et références habituels du « milieu » de la bande dessinée : ainsi Alain Letoct propose-t-il de revisiter des formes traditionnelles de bandes légendées qui seront utilisées plus particulièrement dans les reportages documentaires et les « Univers ». L'expérience n'aboutit qu'en partie (certains des dessinateurs pressentis ayant abandonné en cours de route) et l'absence de publication en albums adaptés en a réduit la portée. Une réussite aussi singulière que Les Barneidor de Philippe Kailhenn et Colette Tournès est donc restée confidentielle. Les « BD Okapi » n'ont pas toujours été bien perçues, d'autant qu'elles étaient publiées par l'ex-Bonne Presse (Bayard Presse depuis 1968) et le Centre National de l'Enseignement Religieux. Pendant les années 1980, le groupe tente cependant de gommer cet aspect un peu élitiste et bien pensant en cherchant à trouver une place dans l'édition de bande dessinée. Plusieurs collections d'albums sont ainsi lancées (correspondant à ses titres Okapi, Astrapi et J'aime lire), tandis que la rédaction cherche à se faire reconnaître en amenant au journal des « professionnels » et allant jusqu'à recruter Jean-Claude Forest pour diriger le secteur. Malheureusement la notoriété de l'auteur de Barbarella ne suffit pas à faire le succès de « l'Aventure d'Okapi » qu'il avait conçue pour le journal, et dont le sort était déjà compromis par une diffusion et des tirages trop restreints : Bayard abandonne en effet peu à peu l'édition d'albums au cours de la décennie suivante. Voilà pourquoi vous retrouvez aujourd'hui sur ce site toutes ces bandes dessinées perdues...
Cette page a été construite très principalement par Jêrome COUZIN début 2014
Remerciements à Denys
Prache qui a pris le temps de revoir ce texte et d'y apporter sa contribution,
ainsi qu'à Colette Tournès, Philippe Kailhenn et Alain Letoct.
Voici les autres sources ayant servi à établir la présentation
ainsi que les notices biographiques qui suivent :
Christian Bruel : Nicole Claveloux & compagnie, Le Sourire qui
mord / Gallimard, 1995 (monographie / catalogue d'exposition)
Oliver Piffaut : L'album en révolutions. Soixante-dix ans d'innovations
et Nicole Claveloux. Bonne-Biche, Grabote & Cie, in catalogue de
l'exposition Babar, Harry Potter & Cie. Livres d'enfants d'hier et d'aujourd'hui,
pp. 221-223. Bibliothèque nationale de France, 14 octobre 2008 –
11 avril 2009
Isabelle Nières-Chevrel : Introduction à la littérature
de jeunesse. Bref aperçu historique, pp. 47-49. Didier jeunesse,
2009
Les Livres d'Harlin Quist et François Ruy-Vidal : catalogue
bibliographique (1964-2003), exposition Chez les libraires associés /
Librairie Michèle Noret, 29 janvier – 25 mars 2013 (disponible
en pdf : ici)